Michel Korb et Christian Philibert : un voyage musical d’Espigoule à l’Afrique
Michel korb retrouve avec afrik’ailoli son fidèle réalisateur christian philibert après les 4 saisons d’espigoule et travail d’arabe. A l’occasion de la sortie de leur nouveau film, et la parution d’un disque réunissant ces trois bo chez music box records, nous les avons rencontrés.
A propos de AFRIK’AOILI
Michel Korb, vous avez un lien particulier à la musique de film puisque votre père est Francis Lemarque, grand compositeur de cinéma. De quelle manière vous a-t-il initié au métier ?
Michel Korb : J’ai toujours été un grand cinéphile, mais mon père faisant des musiques de films, il m’a formé à cela. Ce n’est qu’après sa mort en 2002 que j’ai commencé à m’intéresser à ses BO. C’était Jean Gabin qui l’a recommandé auprès de Gilles Grangier pour « Le Cave se rebiffe ». Sur les films de Grangier, c’est Michel Legrand qui faisait les orchestrations. Je me souviens d’avoir rencontré grâce à lui Yves Montand. Je me souviens également de « Playtime » de Jacques Tati. Mon père m’a aiguillé dans la bonne direction car lorsque j’ai touché de l’argent suite à un accident de voiture survenu quand j’avais 15 ans, j’avais le choix entre payer un appartement ou partir aux États-Unis suivre des études musicales. Il m’a dit de partir, en m’aidant à payer le supplément nécessaire. J’ai ainsi pris la bonne décision grâce à lui, la meilleure décision que j’ai prise de toute ma vie ! J’ai eu un diplôme de « film scoring » à Berklee College of Music. D’ailleurs, l’examen final était de faire la musique d’un film à l’ancienne, à la montre. Il est venu me voir là-bas.
Avant de composer à votre tour pour le cinéma, votre parcours s’est porté sur le jazz… quel est d’après vous le lien entre votre cursus dans le jazz et vos BO ?
M.K : Je n’ai pas cherché à transcrire les bases du jazz dans la musique de film. J’ai surtout été formé par un état d’esprit à l’américaine. Puis j’ai fait appel à des musiciens de jazz pour les films de Christian. Sur LES 4 SAISONS D’ESPIGOULE (1999), il y avait Renaud Pion, un vrai jazzman. Sur TRAVAIL D’ARABE (2003), il y a eu Olivier Ker Ourio, un harmoniste de jazz réputé. J’aime leur ouverture. J’ai une facilité à les diriger. On se comprend. Le jazz m’a amené cela.
Comment s’est produite votre rencontre ?
Christian Philibert : On a tous les deux travaillé avec la société Lardux films avec laquelle j’ai fait des court-métrages et pour laquelle Michel faisait des musiques. Assez naturellement, le producteur m’a suggéré de le rencontrer. La première rencontre physique a eu lieu à Espigoule pendant le tournage de mon premier film. Ce n’était pas évident de rencontrer dés son premier film son alter ego musical. C’est vraiment une chance pour moi. Puis, autant il n’a pas été possible de retrouver le même chef opérateur sur chacun de mes films, autant cela s’est produit sur la musique.
M.K : Christian a été ma première rencontre cinématographique sur LES 4 SAISONS D’ESPIGOULE. Le travail se fait naturellement car Christian a un univers tellement marqué qu’on est happé. Je n’ai pas eu la sensation d’avoir eu un rapport professionnel, on a eu des rapports humains. Il y a une liberté d’esprit dans le travail, je me sens assez libre. Je n’ai pas senti de pression particulière.
C.P : Je ne fais pas la part des choses entre ma vie et mon métier, c’est un tout. Il n’y a pas de cloisonnement.
Quand intervient le compositeur dans le processus ?
C.P : J’aimerais avoir les musiques dés l’écriture du scénario. Mais le problème est qu’au stade du scénario on n’a pas encore le financement du film. Il est donc impossible de financer la musique à l’étape du scénario. Mais je tend vers ça. J’aime tourner un film en ayant les musiques en tête.
M.K : On a trouvé le thème des 4 SAISONS D’ESPIGOULE avant le début du montage. Je préfère qu’un réalisateur ait un thème avec lequel il va vivre pour que le montage soit rythmé à sa mesure, ce qu’on a fait pour nos trois films.
C.P : La musique participe au rythme du film, et à sa structure, donc je ne peux pas non plus attendre la fin du montage pour mettre des musiques. Il faut soit avoir des maquettes en cours de montage, soit avoir des musiques extérieures, même si cela est dangereux car il est tentant de s’en inspirer. On l’a fait pour LES 4 SAISONS D’ESPIGOULE car on n’avait pas le choix, mais il faut éviter, Michel n’aime pas ça.
M.K : C’est en effet un danger de caler des musiques préexistantes sur un montage car le réalisateur s’y attache, et quand on passe derrière pour créer une nouvelle musique, c’est compliqué.
Quel est votre dialogue sur les intentions musicales ?
C.P : J’écoute beaucoup de BO, surtout au début de notre collaboration. Ainsi pour LES 4 SAISONS D’ESPIGOULE je faisais écouter des musiques à Michel, même si on ne s’en est au final pas trop inspirées. Il y avait du Nino Rota, du Chaplin… Pour TRAVAIL D’ARABE, ce besoin ne s’est pas fait sentir. J’avais exprimé à Michel ce que je voulais, dans un mélange de western et de musique arabisante, et les premiers thèmes qu’il m’a proposé étaient parfaits. Et pour AFRIK’AILOLI, on avait comme base la musique des 4 SAISONS D’ESPIGOULE, qu’il s’agissait de décliner, réinventer, et d’adapter à l’Afrique.
M.K : J’ai été très influencé par la musique italienne. Dans LES 4 SAISONS D’ESPIGOULE et AFRIK’AILOLI, j’ai pu exprimer cette veine, notamment dans le thème du film. On est à mi-chemin entre les fanfares bulgares et du Nino Rota.
Quel rôle la musique joue t-elle dans vos films partagés entre l’aspect documentaire et la comédie ?
C.P : Je ne suis pas certain que mes films soient des documentaires. J’utilise les codes du documentaire, dans la forme, avec des interviews, des regards caméra, mais dans l’utilisation de la musique, on est dans la fiction. Ce qui m’intéresse, c’est de brouiller les pistes entre le documentaire et la fiction, d’être à la frontière des deux. J’essaie de capter une réalité épique. La musique est fondamentale pour moi à ce titre, pour apporter le souffle nécessaire à cette saga. La musique est fondamentale car elle amène à la comédie, et à la poésie du film.
M.K : Il n’ y a pas non plus d’effets comiques délirants. C’est plus une joie de vivre, quelque chose de méditerranéen, d’extraverti.
C.P : Le cinéma français n’est pas un cinéma très lyrique, il est plus littéraire, alors que je suis attiré en tant que cinéphile et artiste vers quelque chose de plus épique. Le cinéma n’est pas que des mots et des images, mais aussi de la musique.
Comment avez-vous convoqué les musiques locales d’Afrique dans AFRIK’AILOLI ?
M.K : Il fallait sur ce film faire le pont entre Espigoule et l’Afrique. On a pris des éléments d’Espigoule qu’on a injectés dans une nouvelle couleur, celle de l’Afrique. J’ai donc convoqué des musiciens africains. Je ne suis pas allé en Afrique pour les rencontrer, mais l’Afrique est venue vers moi, notamment des percussionnistes africains.
Quelle est la part de maquettes et d’électro dans vos enregistrements ?
M.K : Tout est lié au budget du film. Les films sont faits avec peu d’argent, il n’était donc pas possible pour moi d’aller en Afrique. Mais on a essayé de trouver des parades pour la musique. J’ai beaucoup programmé, mais avec un mélange entre les vrais instrumentistes et la musique programmée. On ne fait plus de distinction entre les deux.
La présence électronique confère un coté pop et moderne à votre musique…
M.K : J’aime assez ce mélange de modernité et de traditionnel. Dans TRAVAIL D’ARABE, on est parvenu à utiliser un Oud mélangé à des rythmiques plus trip hop, avec un harmonica et des percussions arabisantes. J’adore ça. Le cinéma de Christian me donne cette opportunité.
Comment s’est fait le travail sur le placement de la musique ? AFRIK’AILOLI accorde de beaux moments musicaux…
M.K : C’est un dialogue avec Christian qui se fait au montage afin de définir où va la musique. C’est assez lié au personnage que l’on suit tout le long du film.
C.P : Aux deux tiers du film, il y a une scène illustrée par Massilia Sound System. Il était évident dés le scénario qu’il y aurait de la musique à ce moment là. Pour le reste, je ne sais pas à l’avance à quels moments les musiques interviendront. Je sais juste qu’elle aura une place importante, comme un personnage en soi.
INTERVIEW RÉALISÉE PAR BENOIT BASIRICO